Les critères fondamentaux de qualité des avions légers

Ewald HUNSINGER - Michaël OFFERLIN

C'est un fait qu'il est rarissime de trouver dans la presse spécialisée un article négatif concernant un avion. A l'en croire, ceux-ci sont tous meilleurs les uns que les autres, alors même qu'elle se fait l'écho de l'éternel malaise d'une aéronautique légère qui n'arrete pas de sombrer dans "la crise" depuis... ses origines presque, si l'on se réfère aux publications passées.

Ceci voudrait dire en d'autres termes que les causes de ses problèmes lui sont extérieurs : politiques, économiques, administratifs, voire même sociales, mais jamais techniques ; sans doute parce qu'il est difficile de juger un matériel sans critères objectivables et chiffrables. Ainsi, le fait qu'aucun critère de qualité n'ait été défini, a eu cet effet pervers de faire jouer la "sélection naturelle" du marché non pas sur la qualité des avions, mais sur celle de la publicité, les avions quant a eux, évoluant aléatoirement au fil des lubies et au gré des modes, financés et subventionnés selon des critères qui n'avaient plus grand chose à voir avec une adaptation rationnelle des moyens aux fins...

Il était normal dans de telles conditions qu'ait lieu cette sorte de "dérive génique" des avions légers qui, parce qu'ils étaient de mains en moins adaptés (au vol économique), sont devenus de plus en plus chers. C'est pour enrayer une telle évolution que s'est faite sentir la nécessité de disposer de critères de qualité pour évaluer et comparer les avions.

LES CRITÈRES DE QUALITÉ AVION

Le coût à la pompe d'un avion est, pour des performances données, directement proportionnel à la traînée d'un avion. Celle-ci est donnée par sa polaire qui s'exprime ainsi :

Cette relation montre bien les 2 origines de la traînée globale :

On comprend facilement qu'un avion, pour être économique, doit être à la fois léger et aérodynamiquement propre.

1) LE CRITÈRE DE QUALITÉ MASSIQUE (ou encore de qualité de transport):

Un avion, en fait, peut être considéré comme un "emballage pesant" dont la fonction (en principe) est d'emporter une charge utile (passagers, bagages) disons "en l'air" pour laisser toutes les portes ouvertes.

Le critère massique est donc le premier critère qui va permettre de qualifier un avion sur le plan de la légèreté de construction (par classe de contrainte évidemment : acrobatique, pressurisé, etc.).

Un biplace qui pèse 460 kg au décollage (D-18) est ainsi mieux réussi du point de vue massique qu'un biplace qui pèse 850-900 kg (Grob 115). Cependant, pour ne pas en rester aux seules comparaisons entre avions de même charge utile, il s'est avéré préférable de non-dimensionaliser le critère massique, et l'on retiendra comme tel la fraction de masse a vide "Mv/Md" qui est le rapport de la masse à vide sur la masse au décollage. Il est ainsi possible de comparer l'ATL Robin (Hv/Md=369/580=0,636) avec le DR-400/160 (Mv/Md=570/1050=0,543) pour constater incidemment que le passage du bois et toile au composite s'est accompagné d'une dégradation de la qualité massique. Nous avons là un critère objectif qui exprime, et qui explique, une certaine préférence diffuse qui se manifeste dans l'appréciation subjective des utilisateurs au niveau des aéroclubs. Ce critère peut par conséquent aider un président d'aéroclub à faire son choix lors de l'achat d'un avion par exemple; il devrait aussi être utile au constructeur qui saura dorénavant où porter ses efforts, car il est évident qu'un des critères de réussite d'un avion passe par la minimisation de ce rapport Mv/Md.

2) LE CRITÈRE DE QUALITÉ AÉRODYNAMIQUE:

Ce critère est plus complexe car la traînée parasite résulte de 2 causes qu'il n'est pas toujours aisé de différencier dans la pratique . la traînée de pression et la traînée de frottement. Toutefois, son importance est capitale car il détermine directement la puissance nécessaire a installer, donc les coûts à l'achat, à l'entretient et à la pompe.

a) la traînée de pression:

elle est due a une répartition non symétrique de la pression autour de l'avion. C'est l'illustration du paradoxe de d'Alembert qui veut que lorsqu'il n'y a pas de décollement (ce qui est le cas, par principe, pour un corps aérodynamique), la pression (atmosphérique) sur la surface frontale avant est compensée par celle qui s'applique sur la surface frontale arrière. Bien entendu, en cas de décollement, la pression avant n'est plus compensée et le bilan des traînées s'accroît inutilement d'une traînée supplémentaire évitable d'où l'intérêt de chasser systématiquement toutes les causes de décollement que l'on peut facilement mettre en évidence d'ailleurs avec de simples bouts de laine scotchés. La traînée de pression est le poste qui devrait quasiment être éliminé sur un avion digne de ce nom.

b) la traînée de frottement :

Elle est due a la viscosité non nulle de l'air qui "colle" à la paroi et dont une couche est entraînée par l'avion comme un tapis ; c'est la fameuse "couche limite". Cette dernière possède une particularité qui est de présenter 2 types d'écoulements, laminaire et turbulent, dont les coef. de frottement sont différents, et nettement plus élevé pour le régime turbulent.

Plus prosaïquement, une couche limite laminaire se présente comme étant moins visqueuse (moins adhérente) qu'une couche limite turbulente, d'où l'intérêt de rester en laminaire. Malheureusement les couches limites "transitent" en turbulent à la moindre occasion (impacts d'insectes, poussières, vibrations, irrégularités de surface, rugosités, etc.).

Lorsque l'aérodynamique d'un avion est soignée, c'est la traînée visqueuse (ou de frottement) qui représente la part prédominante de la traînée parasite. La limite inférieure de cette traînée de frottement est parfaitement définie par la "plaque plane" disposée parallèlement à l'écoulement. On connaît sa valeur selon le type (turbulent ou laminaire) de l'écoulement, on connaît sa variation puisqu'elle diminue quand augmente le nombre de Reynolds. Il est ainsi possible par comparaison de la traînée avion à la traînée de frottement de la plaque plane, de mesurer le degré d'imperfection de l'aérodynamique d'un avion donné. Bien sûr, et c'est là la difficulté mentionnée plus haut, on ne saura pas faire la part exacte de la quantité de traînée de pression, si celle-ci est compensée par un certain pourcentage de laminarité dans la mesure où écoulement laminaire et turbulent peuvent coexister successivement le long d'une surface. Cependant, seuls les avions lents et les planeurs accèdent a une laminarité significative; aussi retiendra-t-on l'écoulement turbulent comme étalon de comparaison.

Comme la traînée de frottement est la seule à ne pas pouvoir être éliminée (contrairement a la traînée de pression), et comme elle est directement proportionnelle a la surface de frottement, il est logique de référencer la traînée globale d'un avion à sa surface mouillée totale (SMT), et logique de la comparer au frottement de la plaque plane en régime turbulent. Le coef. de traînée ainsi obtenu s'appelle "coef. de frottement équivalent" (à la plaque plane) ou "Cfe". C'est lui qui sert à caractériser la qualité aérodynamique d'un avion qui sera d'autant plus mauvaise que le Cfe s'éloignera de la valeur étalon de la plaque plane (qui est d'environ 3 pour mille pour un Reynolds d'avion léger).

Il s'agit là encore d'un paramètre non dimensionnel qui autorise donc la comparaison entre avions de n'importe quelle catégorie. Ainsi, ce paramètre qui exprime la qualité aérodynamique d'un avion, explique de façon objective la bonne cote (subjective) qu'a dans les aéroclubs, le DR-400 (Cfe=6,9 pour mille) par rapport au Robin-3000 (Cfe=8,44 pour mille), au Cessna 152 (Cfe=10,4 pour mille), ou au Rallye (Cfe=11.26 pour mille), de même que l'accueil qui a été réservé à l'ATL (Cfe=13,2 pour mille).Se rappelle-t-on encore du RF 5 (Cfe=6,38 pour mille) et de ses 68 CV ?

C'est sur la qualité de ces paramètres ("Mv/Md" et "Cfe") que se jugera la capacité des concepteurs, et que les responsables d'aéroclub pourront désormais sélectionner les avions du marché.

Soulignons au passage l'importance primordiale de la surface mouillée qui agit a la fois sur la traînée due au frottement, et sur la masse de l'avion. En effet, la masse d'un revêtement étant proportionnelle à sa surface, en la minimisant on gagne donc sur les 2 tableaux. Ceci explique les performances d'un certains nombre d'avions amateur tels que les Lancer et White Ligtning, ou encore (malgré sa mauvaise aérodynamique) le cri-cri.



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