Laminarité et aviation légère

(Deuxième partie)

Alain BUGEAU
Aérodynamicien chez Dassault

Cet article est la deuxième partie d'un dossier sur le concept d'écoulement laminaire en aviation légère.

* Les moyens d'essais utilisables en vol et en soufflerie.
Comme dans bien des branches de la technique le concepteur aime se rassurer et vérifier expérimentalement ce qu'il a calculé ou tout du moins espéré. Dans le cas des écoulements laminaires, plusieurs techniques sont actuellement utilisées aussi bien lors d'expérimentations au sol (en soufflerie) qu'en vol, avec dans ce dernier cas quelque précautions supplémentaires. Toutes ces techniques sont basées sur les particularités des grandeurs physiques de l'écoulement qui évoluent plus ou moins rapidement lors du passage laminaire-turbulent (voir "Laminarité et aviation légère", première partie, figures 3-1 et 3-2).

La première d'entre elles, également la plus ancienne, est une technique de sublimation consistant à recouvrir la surface à étudier avec un film solide mince : un constituant chimique déposé par vaporisation. La substance chimique la plus utilisée pour ces applications est l'acénaphtène, mais d'autres constituants sont aussi appropriés (naphtalène, fluorène). Le traitement sur la surface aérodynamique consiste à vaporiser un mélange constitué de l'un des corps chimiques précédemment cités et d'un solvant tel que l'acétone ou bien le trichloréthylène. Cette solution est vaporisée par air comprimé. Il est nécessaire que le solvant soit presque complètement évaporé avant que la solution ait le temps de mouiller la surface, laissant alors un revêtement solide d'apparence blanc mat.

Le principe de visualisation de la transition est le suivant : dés ,que l'écoulement s'installe sur la surface traitée, la couche solide est soumise à l'action de la contrainte de cisaillement pariétale qui est bien plus élevée dans la partie turbulente et provoque "l'arrachement" du film d'acénaphtène. La partie turbulente voit donc son film solide se sublimer bien avant la partie laminaire qui reste recouverte du revêtement blanc.

Le temps de sublimation du revêtement d'acénaphtène est variable, suivant la température, la vitesse de l'écoulement, mais reste suffisant dans le cas du vol pour permettre le décollage, la montée, la descente et l'atterrissage sans altérer le résultat "développé" pendant le vol stabilisé aux conditions d'essais (Reynolds, vitesse et coefficient de portance donc incidence - voir le schéma de principe sur la figure 21 ci-contre).

Le problème ne se pose évidemment pas en soufflerie où les conditions d'essais choisies sont constantes durant tout le temps nécessaire à la sublimation du film. Ce procédé, en vol comme en soufflerie, a un inconvénient, c'est que l'image de la transition correspond seulement au cas d'essais et pour chaque nouvelle condition (Re, Cz, ... etc), il faut recommencer le traitement. Mais il a aussi un avantage, dans le cas du vol car, une fois revenu au sol, l'expérimentateur a tout son temps pour examiner les résultats, photographier les fronts de transition sans avoir à voler en patrouille avec un avion "observateur" à ses côtés.

La deuxième méthode utilise une solution liquide composée d'huile et de pigments colorés pour visualiser la nature de l'écoulement. Cette technique est quelque peu différente de celle utilisant l'acénaphtène. L'huile pigmentée est appliquée au pinceau sur la surface à étudier. L'avion décolle et se positionne aux conditions d'essais choisies. Le film coloré par les pigments, film liquide cette fois, s'écoule dans le sens de l'écoulement selon sa viscosité et la température, mais beaucoup plus rapidement dans la zone turbulente où la contrainte de frottement pariétale - toujours elle - est la plus importante. La zone laminaire apparait plus colorée (en plus foncé ou en plus clair suivant les pigments utilisés et la couleur du revêtement de l'avion) du fait de la plus grande épaisseur du film d'huile (Fig. 22). A la différence des visualisations à l'acénaphtène, cette technique permet de faire plusieurs conditions d'essais au cours d'un même vol si l'épaisseur du film d'huile au départ est suffisante. Par contre, il est nécessaire de disposer d'un avion accompagnateur ("chase airplane") pour réaliser des photographies ou des films vidéo des lignes de transition observées. Une photographie, prise au sol, montre le résultat d'une "visu" à l'huile sur la voilure du planeur américain Genesis 1. La zone laminaire apparait en plus foncé, tandis que la zone de transition est matérialisée par une petite zone en très foncé (bulbe de décollement laminaire : zone de recirculation et donc d'accumulation d'huile et de pigments augmentant le contraste sur la photo - Fig. 23).

Les mélanges utilisés se composent généralement d'huile de lubrification automobile de type Mobil 1 et de pigments : oxyde ferrique FeO2, de couleur foncée, ou bien des oxydes de titane TiO2, de couleur claire, pour contraster avec un revêtement sombre. Cette technique, simple à mettre en oeuvre (pas de compresseur d'air comme pour le film d'acénaphtène) et peu coûteuse, est particulièrement bien adaptée au constructeur amateur qui peut l'utiliser sans problème particulier. Elle demande juste du soin et de la méthode.

Des publications spécialisées concernant ces méthodes sont répertoriées dans la liste des références (n°5 et 6).

Une troisième technique repose sur l'utilisation d'un type de capteur appelé "film chaud". Ce type de capteur est constitué d'un petit timbre très mince (0,05 mm d'épaisseur), portant un élément sensible constitué d'un fil de nickel chauffé et maintenu à température constante par une électronique de régulation. Le principe repose sur le fait que le coefficient de convection thermique est plus important dans la couche limite turbulente. Un film chaud produira donc un signal de tension proportionnel au refroidissement local sur la surface aérodynamique de la forme E(t) = E + e'(t), avec E valeur moyenne et e'(t), fluctuation de la tension (fluctuation du flux de convection, fluctuation de contrainte pariétale en passant par un étalonnage). Cette fluctuation e'(t), tracée en fonction du temps, permet de qualifier la nature de la couche limite, un exemple de l'évolution temporelle de cette fluctuation enregistrée en vol a été présentée sur la figure 3-3.

* Les contraintes de réalisation et de fabrication, contraintes d'utilisation.
Les résultats présentés jusqu'à maintenant, sur les plans porteurs ou les fuselages, ne font pas apparaître de contraintes particulières concernant la qualité des surfaces calculées ou essayées. Pour les corps étudiés en soufflerie, les profils et fuselages présentent un état de surface s'apparentant au "poli aérodynamique", concept établissant que si la rugosité répartie sur la surface considérée est de hauteur inférieure à un certain pourcentage de l'épaisseur de couche limite, cette rugosité ne va pas déstabiliser la couche limite (laminaire) et la faire transitionner par la suite.

Tout se passe comme si la plaque plane, le profil, la surface du fuselage étaient totalement lisses. Pour les résultats de calculs présentés, soit la rugosité était nulle, soit elle était de très faible hauteur (de l'ordre de quelques microns). Une aspérité de hauteur "h" a d'autant moins d'effet sur la couche limite qu'elle est disposée loin de l'origine (bord d'attaque du profil par exemple), car l'épaisseur de couche limite croit avec la distance à l'origine (bord d'attaque du profil par exemple), mais le rapport en laminaire (épaisseur de la couche limite rapportée à la distance considérée) étant inversement proportionnel à , plus le nombre de Reynolds Re sera grand (plus la vitesse de l'écoulement sera grande pour une même position x) et plus cette aspérité se rapprochera de l'aspérité critique qui fait transitionner. On peut considérer que c'est l'apparition d'un sillage, avec émission de tourbillons derrière la rugosité assimilée à un cylindre vertical, qui déclenche l'instabilité dans la couche limite. La hauteur "h" de la rugosité critique peut être calculée en utilisant la formule empirique suivante h/x < 12,3.(Rx)-3/4 (formule valable en écoulement laminaire).

Une application numérique simple sur plaque plane permet de se rendre compte des ordres de grandeur :

On peut donc retenir en conclusion de cette étude de sensibilité que plus "on va vite", et plus on se rapproche du bord d'attaque, plus l'état de surface est important. Un autre type d'imperfection de surface, s'opposant au maintien de l'écoulement laminaire, est constitué par le défaut de type ondulation (vaguelette). Au début des essais des premiers profils laminaires, les expérimentations réalisées alors sur des cellules d'avion construites en alliage d'aluminium riveté menèrent à la constatation que le niveau de qualité de surface requis ne pouvait pas être atteint sur les appareils de production (essais du P-51 Mustang par le Naca). De nos jours les matériaux modernes et l'apparition de techniques nouvelles offrent la possibilité de fabriquer des surfaces aérodynamiques de très bonne qualité avec des ondulations de faible amplitude et de très petites valeurs de rugosité.

Les principales techniques employées aujourd'hui, offrant ce potentiel, consistent en la fabrication de panneaux usinés dans la masse (usinage en commande numérique), en l'utilisation de matériaux composites et de structures en alliage d'aluminium collé sur nervures, ou raidisseurs en mousse. Seules les deux dernières techniques sont envisageables pour la construction amateur ou la construction d'avions légers industriels. Plusieurs critères concernant les ondulations de surface ont été proposés dans les publications de la Nasa et leurs applications sont parfois délicates. Néanmoins, un critère proposé par M. Carmichael (Réf. n°7) permet de chiffrer la hauteur relative d'ondulation critique maximun ne déstabilisant pas la couche limite sur une surface donnée:

avec, h : hauteur crête à crête de l'ondulation,
l la longueur d'onde (voir Fig. 24).
F l'angle de flèche de bord d'attaque et
Rc le nombre de Reynolds calculé sur la corde de référence "c" et la vitesse à l'infini amont.

La figure 24 montre un exemple d'application de ce critère pour un avion d'affaires. On note l'évolution parabolique de l'amplitude d'ondulation avec la longueur d'onde et l'influence de la flèche. Cette relation est valable pour une ondulation disposée dans le sens des cordes de profil. Plusieurs ondulations successives nécessitent des coefficients correcteurs qui ne sont pas présentés dans cet article. La figure 25 présente une comparaison effectuée entre des ondulations admissibles, utilisant ce dernier critère, et des ondulations mesurées sur les surfaces portantes (ailes, canards, empennages, winglets) de différents appareils de construction amateur ou industrielle. Cette comparaison est basée sur un longueur d'onde de deux pouces (50,8 mm), et l'on peut voir sur cette dernière figure qu'il n'y a pas d'ondulation excédant la valeur critique empirique. Le critère ayant été établi pour des vitesses max et à basse altitude, les ondulations critiques à ne pas dépasser seront sensiblement plus grandes pour des nombres de Reynolds correspondant à la croisière à plus haute altitude (application de la formule ci-dessus)

La figure 26 présente des mesures d'ondulation effectuées sur la voilure du Bellanca Skyrocket. La différence entre la courbe lissée (trait pointillé) et la courbe brute (trait pleint) donne l'amplitude d'ondulation toujours sur une longueur de 50,8 mm. La plus grande valeur trouvée est de l'ordre de 0,015 pouce (h = 0,38 mm), prés du bord d'attaque et correspond sensiblement au joint des demi-coques composites entre intrados et extrados. Les autres valeurs relevées sont bien plus faibles (h = 0,05 mm). Les surfaces de cet avion n'ont pas fait l'objet d'un traitement particulier lors de ces essais (remplissage, ponçage et ainsi de suite), les mesures et visualisations effectuées à l'acénaphtène ont été effectuées sur un avion "sortant pratiquement de moule". Cette derniere remarque montre que les méthodes de fabrication modernes (ici pour les matériaux composites) sont satisfaisantes vis-à-vis des exigences laminaires.

Un autre type d'imperfection de surface fréquemment répandu sur les avions légers (ou même plus gros !) est le défaut de type marche" (ou rainure), caractérisé essentiellement par une hauteur de désaffleurement et qui malheureusement pullule de façon pratiquement incontournable sur les surfaces aérodynamiques (portes de visite, joint de verrière, trappes de train, bouchons de réservoir, ... etc). La figure 27 montre les caractéristiques schématiques d'un écoulement laminaire avec décollement au passage d'une marche. Les deux bulbes de décollement laminaire, avant et après la marche, peuvent produire des instabilités au-dessus et après ces deux bulbes. Un critère a été établi pour déterminer la hauteur de marche critique. Il consiste à calculer un nombre de Reynolds en prenant comme longueur la hauteur de marche ou la largeur de la rainure, et comme vitesse la valeur "infini amont". Les résultats obtenus sont présentés sur la figure 28. Trois formes de marche n'ont pu être quantifiées. Par contre, il est intéressant de noter l'influence de l'arrondi sur la valeur du nombre de Reynolds critique. Des essais en vol utilisant le banc d'essais T34-C (avion de la Nasa équipé d'un "gant laminaire",, disposé entre deux plaques de garde - cf. Fig. 29) ont permis de confirmer les valeurs de la figure 28. Les marches ont été simulées par des bandes adhésives de même hauteur (h = 0,027 inch = 0,685 mm) mais avec des bords d'attaque différents comme indiqué sur la figure 30. Ces bandes ont été disposées à l'intrados du gant laminaire (5% des cordes), là où le gradient de pression est le plus faible et où l'on ne bénéficie pas du plus grand amortissement des perturbations (Fig. 30). La vitesse de vol a été choisie pour obtenir un nombre de Reynolds calculé sur la hauteur de la bande adhésive excédant sensiblement la valeur déterminée auparavant. La valeur Reh = 2720, supérieure de 50% à celle déjà expérimentée, a été retenue et la transition a été obtenue pratiquement sur le bord d'attaque à profil carré, par contre la transition a été obtenue environ 600 mm en aval pour la bande arrondie (visualisations à l'acénaphtène).

Ce résultat très conservateur, la transition étant obtenue bien en aval pour une valeur donnée de Reh critique (nombre de Reynolds calculé sur la hauteur de la marche "h") doit permettre au concepteur de déterminer avec une marge suffisante les hauteurs de désaffleurement admissibles sur les surfaces à potentiel laminaire.

Nous venons de voir les trois types d'imperfection de surface les plus répandues, pouvant intervenir sur le point de transition : rugosité, ondulation, et désaffleurement de type marche ou rainure. Avant d'aborder l'influence des "éléments extérieurs", il reste à dire quelque mots sur le respect de la forme fabriquée comparativement au dessin de départ (profil théorique par exemple). l'épaississement du bord de fuite d'un profil pour des raisons de fabrication (bord de fuite théorique d'épaisseur nulle), s'il est effectué progressivement, ne change pas sensiblement les répartitions de pression, mais il est toutefois conseillé d'effectuer cette modification à l'intrados. Par contre, toute modification locale touchant la pente et/ou la courbure peut apporter des modifications assez conséquentes aux répartitions de pression et aux points de transition. La figure 31 montre une comparaison obtenue entre des répartitions de pression calculées sur le profil théorique de base Naca 63 115, celles mesurées en vol du même profil équipant le Bellanca Skyrocket, et celles calculées à partir du profil réel de cet avion utilisé aussi comme banc d'essai volant par une équipe de la Nasa.

On constate une légère différence dans la répartition de pression à l'extrados, le profil réel (celui qui vole) accusant une recompression plus marquée vers 50% de la corde, sans affecter sensiblement dans ce cas particulier la position de la transition. Un autre exemple, concernant les problèmes de fabrication, est présenté sur la figure 32. Il s'agit de la comparaison de courbes unitaires de portance obtenues sur deux maquettes d'un avion léger monomoteur. La premiere maquette à été fabriquée en mousse revêtue de tissus de verre, enduite et poncée (technologie Rutan). Par contre, la deuxième à été usinée dans la masse (bloc de dural) en commande numérique. Les maquettes, à deux échelles différentes, ont été soufflées pratiquement au même nombre de Reynolds dans deux installations différentes (Re calculé sur la corde moyenne, voisin de 500.000). La maquette en composite montre que le décollement de bord de fuite apparaît assez tôt vers une incidence de 9° avec une cassure de la pente de portance très marquée, et on ne retrouve pas l'allure du décrochage relativement doux, caractérisant les profils Naca 747A315 et 415 équipant les voilures de ces maquettes.

Par contre, la courbe de portance - Cz = f(alpha) - de la maquette "commande numérique", essayée dans une soufflerie du Centre d'essais aéronautiques de Toulouse (CEAT), présente un comportement assez voisin des résultats en 2D auquel on peut s'attendre, bien que les nombres de Reynolds "soufflerie" et "catalogue Naca" soient différents. Cet exemple montre bien l'importance d'une réalisation précise des profils laminaires afin d'obtenir les résultats prévus en dehors des incidences usuelles d'optimisation. Il faut noter toutefois que la technique des moules perdus semble satisfaisante pour la construction de profils d'ailes à l'échelle grandeur, la même précision absolue entraînant des écarts relatifs plus faibles. Il convient d'être malgré tout très soigneux dans le respect des cotes théoriques de profils laminaires à maître couple reculé.

Deux autres facteurs menacent encore la stabilité de la couche limite laminaire. Il s'agit des insectes impactant le bord d'attaque de l'aile et de la pluie. La présence d'insectes écrasés sur le bord d'attaque peut être assimilée à des rugosités discrètes et peut être étudiée en utilisant à nouveau la notion de hauteur critique. Encore une fois, le Skyrocket de la Nasa a été mis à contribution en effectuant un vol de deux heures dans des conditions propices au ramassage d'insectes : hauteur de vol de l'ordre de 150 m/sol, atmosphère chaude et humide du mois de mars au-dessus d'une zone marécageuse de la Virginie. La figure 33 montre la "récolte" obtenue sur l'aile droite de l'avion, tous les impacts d'insectes étant rassemblés dans la même section. Seulement 25% des "insectes-rugosités" étaient de hauteur critique, et causèrent une transition ("visu" à l'acénaphtène).

Deux courbes "enveloppe des hauteurs critiques de rugosité" ont été tracées sur le profil pour deux altitudes de vol (Z = 0 ft et Z = 25.000 ft). La hauteur critique admissible en altitude est plus grande car elle correspond à un nombre de Reynolds plus petit, résultat déjà énoncé au début de ce paragraphe. A haute altitude, seulement six insectes (soit 9% du total) déclenchent la transition. Si après le décollage, on ne peut échapper à la collecte des rugosités (par passage dans les basses couches), la montée en niveau permettra de diminuer les déclenchements de transition et de diminuer la perte de performance difficile à évaluer dans ce cas. Pour un avion léger (aéro-club ou particulier), il est bien sûr envisageable de nettoyer les bords d'attaque des ailes dès le retour au sol. Si l'on admet qu'une contamination d'insectes peut dégrader sensiblement les performances d'un avion, la probabilité d'un niveau important de contamination reste malgré tout faible pour de nombreuses combinaisons de lieu, de période dans le jour, de mois dans l'année, du type de profil d'aile monté sur la voilure, et enfin du profil de la mission.

L'effet de la pluie tombant sur un profil laminaire a été étudié au MIT (Réf. N°8) sur un profil Wortmann FX-67-Kl7O, le nombre de Reynolds calculé sur la corde est de 350.000, et la précipitation réalisée en soufflerie est de 440 mm d'eau par heure. Ce profil a été soufflé avec trois types différents de revêtement pour simuler une "mouillabilité variable". Une surface "mouillable" voit le liquide s'étaler complètement sur la surface avec un angle de contact de 0°. A l'opposé, une surface non "mouillable" présente un angle de contact de 180°, et le liquide reste à la surface sous forme de goutte. Des valeurs intermédiaires sont envisageables. Lors de l'expérience, la surface de base était un gelcoat époxy, poncé soigneusement au grain 600, donnant un angle de contact de 53°. Une surface non "mouillable" a été obtenue en enduisant le profil avec de la cire, et un revêtement intermédiaire était obtenu en savonnant la surface du profil. Les figures 34 et 35 montrent les résultats obtenus : 75% de réduction de finesse max entre le profil de référence (sec) et le profil ciré (non mouillable), et "seulement" 45% entre le profil sec et le profil savonné.

Une explication permet de se ramener aux effets des défauts déjà examinés au début de ce paragraphe. La surface non mouillable comporte des gouttelettes assimilable à des rugosités tridimensionnelles, au contraire de la surface mouillable où le liquide s'étale et se compare beaucoup plus à une imperfection de type ondulation (car la hauteur du liquide en mouvement à la surface du corps ne reste pas constante) et les effets sur la transition sont moindres. La figure 35 présente les pertes obtenues sur les courbes de portance en Cz max, en Cz0 (coefficient Cz correspondant à l'incidence nulle) et en gradient de portance pour les différents revêtements essayés.

D'autres résultats intéressants concernent les essais en basse vitesse d'un Rutan VariEze, à l'échelle 1, dans la grande soufflerie de Langley (veine elliptique de 9 x 18 m) de la Nasa, soumis à une projection d'eau simulant une forte pluie sur le canard (Fig. 36). Les projections furent d'abord simulées par une transition artificielle à 5% des cordes. La figure 37 permet de constater une perte de portance d'environ 30%, entraînant une auqmentation du moment piqueur dé l'avion complet non négligeable. Un examen de la répartition 2D de pression sur le profil de type GU-25, équipant le canard, montre l'effet de la transition forcée à 5% des cordes. La perte de portance est due à un décollement, à l'extrados, de type bord de fuite (plateau de Kp à l'arrière du profil), occasionné certainement par l'épaississement de la couche limite turbulente dans la zone de forte recompression du profil après X/C = 50% (Fig. 38).

Ce décollement de bord de fuite entraîne aussi une perte d'efficacité de la gouverne (profondeur sur le canard), comme on peut le voir sur la figure 39. Pour un même Cz "équilibré avion", le braquage de la gouverne en transition déclenchée (pluie) est plus important - phénomène expérimenté en vraie grandeur sous des nuages de pluie par des pilotes de VariEze. La figure 40 montre l'effet réel de la pluie, sur un demi-canard seulement comme indiqué sur la figure 36, et on retrouve les effets de la transition forcée réalisée au moyen de rugosités réparties ("courbes pluies" situées entre courbes lisses et courbes 5%). Des "turbulateurs" (petites ailettes en flèche), disposés à l'extrados de ce type de profil, permettent de corriger ce problème en déclenchant des petits tourbillons sur toute l'envergure du plan canard (Fig. 41).

Ces vortex redonnent de l'énergie à la couche limite décollée en cas de pluie et limitent ainsi la perte de portance et le moment piqueur. Mais ces dispositifs "installés en fixe" augmentent aussi la traînée de profil quand il n'y a pas de pluie... Le meilleur remède consiste peut-être à utiliser un profil beaucoup plus tolérant à la pluie S'il existe voire, pour des "configurations canard pures", à utiliser de bons vieux profils connus moins performants certes, mais apportant plus de tranquillité ! La encore apparait la notion de taux d'échange : gain de performance pendant les beaux jours contre sécurité des vols par temps de pluie.

Enfin, le dernier point abordé dans ce chapitre ne concerne pas, à proprement parlé, les contraintes de fabrication, ou d'utilisation mais est plutôt lié à ."l'architecture de l'avion". Nous avons discuté, dans la première partie de cet article consacrée à l'étude des fuselages, de l'intérêt consistant à positionner l'hélice à l'arrière de façon à profiter de formes géométriques avant générant un gradient de pression négatif, combattant l'instabilité dans la couche limite laminaire. Peu de réalisations permettant d'optimiser les fuselages avant ont vu le jour et le prix à payer (refroidissement moteur, masse supplémentaire de l'arbre de transmission, assiette à la rotation ou durant l'arrondi à l'atterrissage, hélice travaillant dans les sillages des plans porteurs) n'a semble-t-il jamais été "comptabilisé proprement" par les concepteurs en vue de savoir si le taux d'échange est satisfaisant. Les principaux réalisateurs de ces configurations se sont souvent contentés d'évoquer les gains de traînée par laminarisation de l'avant de fuselage comme on a pu le faire pour "l'avion têtard' dans la première partie de cet article. Pour les avions avec hélice dite "tractive", la majorité de ceux qui volent tous les jours, le problème ne se discutait pas, étant entendu que les surfaces baignées dans le souffle d'hélice (fuselage et parties de voilure) semblaient "perdues" d'avance pour le laminaire.

Des expérimentations récentes, en soufflerie et en vol sur deux avions différents (T-34C et Skyrocket), ont été effectuées par la Nasa (Réf. n'9) afin d'explorer ce domaine mal connu. Le T-34 "banc d'essais volant" est équipé d'un "gant laminaire" bordé de plaques de garde pour éviter la contamination turbulente du profil de base de l'avion. Un mini-gant laminaire est en plus installé tout contre le fuselage, dans le sillage d'hélice comme indiqué sur la figure 42.

Ces deux gants laminaires sont équipés de films chauds dont le principe de fonctionnement a été expliqué rapidement en début de cet article. Le résultat qualitatif obtenu en vol apparaît sur les signaux des films chauds e'(t) tracés en fonction du temps sur la partie droite de la figure 42. La comparaison des signaux de fluctuation de la contrainte pariétale (exprimée en pourcent d'une valeur de référence), de part et d'autre de la ligne de transition, permet d'identifier les niveaux de fluctuation correspondant aux deux régimes (laminaire et turbulent). Sur le petit gant situé dans le sillage hélice, l'examen des signaux e'(t) met en évidence la présence de deux petite perturbations décalées d'un temps correspondant à la fréquence de passage de la pale dont les niveaux croissent avec l'éloignement en corde, en tendant vers le niveau turbulent de référence.

Une explication a été donnée par les spécialistes de la Nasa. Elle consiste à faire' l'hypothèse que l'impact cyclique du sillage turbulent, émis par le bord de fuite de la pale (comparable à la nappe tourbillonnaire issue d'une aile) sur la couche limite, est transformé en "petites bouffées turbulentes" s'écoulant vers l'aval d'une façon cohérente et régulière. Alors, comme le montre les signaux e' des films chauds, entre ces bouffées transitionnées, la couche limite doit être naturellement et normalement laminaire. Ce concept est illustré de façon schématique par la figure 43. Quelle est la conséquence sur le plan quantitatif ? Un essai a été réalise en soufflerie sur un profil laminaire de type Naca 66-018 avec et sans la présence d'un sillage d'hélice et a incidence nulle. Les résultats montrent (Fig. 44) une augmentation de 60% de la traînée pour le profil immergé dans le sillage par rapport au profil de base dans les mêmes conditions d'essais. Ce supplément de traînée ne représente pas la perte totale de laminarité, car une transition forcée à 5% des cordes provoque une augmentation de 150% de la trainee de profil dans les conditions de l'essai. Autrement dit l'interaction du sillage d'hélice sur le profil représente moins de la moitié de l'augmentation de traînée due à une perte quasi totale de laminarité. La Nasa prévoit des études plus approfondies sur ce sujet, afin de mieux comprendre la phénoménologie d'une part, et de mettre au point des méthodes de calcul permettant si possible de réduire la traînée des surfaces immergées dans un sillage d'hélice d'autre part. Ce dernier résultat permet de penser maintenant que l'architecture "avion classique avec hélice à l'avant" n'est pas si pénalisante sur le plan de la trainée qu'on pourrait l'imaginer.

* Résultats obtenus en pratique sur avions et planeurs.
Les surfaces aérodynamiques des planeurs modernes présentent en général un fort potentiel de laminarité en comparaison des autres machines volantes. Un exemple de calcul tridimensionnel complet, avec couche limite, montre l'étendue de laminarité réalisable sur les plans porteurs et le fuselage du planeur biplace Marianne. La figure 45 montre ce résultat pour une incidence de 0°, et le nombre de Reynolds calculé sur la corde moyenne aérodynamique est de l'ordre de 2.106 (Vinf = 105 km/h). Les" surfaces colorées" en vert-bleu indiquent les zones laminaires : paramètre de forme H supérieur ou égal à 2. Le calcul a été effectué avec une rugosité répartie égale à 20 microns. Si ce résultat est tout à fait envisageable pour les plans porteurs en pratique (peu ou pas de bouchons, de porte de visite, d'aspérités notables, joints, ... etc), il en est pas de même pour le fuselage ou inévitablement l'installation d'une verrière peut entraîner la formation de marches par désaffleurement des bordures.

La figure 46 montre des résultats de soufflerie sur une maquette de planeur (fuselage + voilure partielle). Une bande rugueuse, simulant un désaffleurement de verrière de 0,75 mm à l'échelle 1, à été placée en différents endroits de la partie avant du fuselage. Les courbes montrent l'augmentation de traînée occasionnée par le supplément de frottement turbulent par rapport au fuselage lisse de base pour les différentes position de bordure. Le Reynolds de vol est 1,2 . 106, et la traînée de l'ensemble voilure-fuselage avec la verrière "longue" est 15% supérieure à celle de l'ensemble fuselage lisse.

En conclusion, si un désaffleurement de verrière est inévitable, la verrière courte est préférable car c'est elle qui se rapproche le plus du fuselage lisse.

Les figures 47 et 48 illustrent la différence existant, sur le plan théorique, entre un avion de configuration classique avec un capot moteur entourant un moteur flat-four et un avion de voyage avec GMP arrière permettant un fuselage avant laminaire. Il convient de remarquer que l'étendue laminaire sur le capot avant de l'avion classique est certainement optimiste, compte tenu de l'absence de modélisation du souffle et du sillage d'hélice dans le calcul théorique. Les photographies suivantes présentent des résultats de transition obtenus en vol au moyen de visualisation à l'acénaphtène (Réf. N°10). La figure 49 montre la transition obtenue à l'extrados de l'aile du Skyrocket. Le front de transition se situe à environ 45% des cordes pour un coefficient de portance de vol Cz = 0,22 et avec un nombre de Reynolds de 9,7.106 calculé de façon habituelle sur la longueur de la corde de référence voilure. La figure 50 concerne la visualisation à l'intrados pour les mêmes conditions de vol. Sur la figure 51, les tracés des fronts intrados et extrados permettent de voir clairement l'effet de l'hélice (diminution de la surface laminaire à l'intérieur du sillage hélice), et le déclenchement de la transition pratiquement au droit des trappes de visite.

La figure 52 présente un plan du Bellanca Skvrocket avec les équipements d'essais spécifiques (sondes de sillage, "ceinture de prises de pression", et peigne de pression totale de part et d'autre du sillage hélice), ayant permis d'effectuer les mesures dont les résultats sont présentés dans cet article. Des visualisations, toujours par sublimation d'un film d'acénaphtène, ont été aussi effectuées sur la voilure d'un Rutan LongEZ. La figure 53 montre la position de la transition obtenue à l'extrados. Une comparaison des fronts intrados et extrados entre un LongEZ et un VariEze est présentée sur la figure 54. l'influence de la flèche prononcée sur l'apex entraîne une transition précoce (résultat prévisible), par contre le résultat obtenu (transition très en aval) sur la partie externe du VariEze est plus difficilement explicable. Enfin la figure 55 montre qu'il peut exister aussi un écoulement laminaire sur une pale d'hélice (partie extrados de la pale), cette dernière pouvant être considérée comme une voilure en rotation.

Enfin, le front de transition obtenu sur le carénage de roue d'un VariEze montre qu'il ne faut pas négliger les plus petits gains de traînée (Fig. 56).

Conclusions et perspectives.

Les résultats de calcul, d'expérimentation au sol (soufflerie), ou en vol, présentés dans cette revue non exhaustive, permettent néanmoins de tirer les principaux enseignements suivants :

  • des "étendues importantes" d'écoulement laminaire sont possibles jusqu'à des grands nombres de Reynolds, sous réserve que la géométrie s'y prête (accélération de l'écoulement), et que la qualité de surface soit correcte, non seulement sur les plans porteurs mais aussi sur les surfaces de fuselage.
  • les gains de trainée correspondants peuvent se traduire par une diminution de puissance installée à même vitesse avec une distance franchissable plus grande, ou bien, par une augmentation de vitesse a même puissance installée.
  • des contraintes de fabrication et de réalisation sont à prendre en considération et à respecter, mais ces dernières sont maintenant bien connues et identifiées.
  • pour les constructeurs d'avions légers et de planeurs modernes, la technologie actuelle permet d'utiliser au moins deux procédés satisfaisant ces contraintes. Ce sont les matériaux composites et les structures métalliques collées.

Il y a malgré tout danger, tout au moins inconvénient a vouloir étendre au maximun la laminarité sur avion léger (sur les plus gros aussi !). Pour les plans porteurs, le recul en corde du point de pression minimum à l'extrados peut entraîner des décrochages plus secs voire brutaux. Des pertes d'efficacité peuvent intervenir sous la pluie pour des gouvernes de canard (danger). L'optimisation des profils laminaires à l'extrados peut conduire à des lignes moyennes très cambrées à l'arrière du profil (Cmo important). Elle limite ainsi le gain de traînée (sur le terme de frottement) par augmentation de la traînée d'équilibrage. Elle entraîne aussi une augmentation du moment de charniere pour une gouverne, ce qui peut poser des problèmes (efforts aux ailerons a grande vitesse).

Encore une fois, apparaît la nécessité du compromis et (le rédacteur le répète au risque de lasser !) la notion de "taux d'échange" lors de la conception ne doit pas être escamotée. Les perspectives d'améliorations pour repousser la transition encore plus loin, en utilisant les techniques d'aspiration de la couche limite, sont surtout envisageables pour des machines volantes plus lourdes et bien plus coûteuses que nos avions légers.

Les perspectives de progres pour l'aviation légère concernent plutôt la maîtrise de la laminarité confrontée aux phénomènes externes, tels que la pluie et la contamination par les insectes, vis à vis des performances et de la sécurité en vol.

Références

5) "Sublimating chemical technique for boundary-layer flow visualisation in flight-testing". "Journal of Aircraft", Clifford J. Obara.
6) "The use of oil for in-flight flow visualisation". E. Curry, R. Meyer, JR. O'Connor. Nasa Technical Memorandum 84915, January 1984.
7) "Manufacturing tolerances for natural laminar flow airframe surfaces". Bruce J. Holmes. Nasa Langley Research Center, Hampton, Va.
8) "Low Reynolds number test ci Wortman FX-67-Kl7O airfoil in rain". R. John Hansman and P. Craig.
9) "Flight investigation of natural laminar flow on the Bellanca Skyrocket Il". Bruce J. Holmes, J. Obara. Nasa Langley Research Center.
10) "Natural laminar flow experiments on modern airplane surfaces". Bruce J. Holmes, Clifforc J. Obara, and Long P. Yip. Nase Technical Paper 2256, June 1984.

Photos et documents courtesy Nasa-Langley.
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